L’ADN environnemental, l’ADNe, qu’est-ce que c’est ?
Dans la nature, tous les êtres vivants laissent des traces d’ADN au cours de leur vie : trace dans les excréments, mucus, lors de la reproduction... Même lorsqu’un animal meurt, son cadavre continue de larguer des fragments d’ADN lors de sa décomposition. Un suivi ciblé sur l’analyse d’ADNe permet donc la détection d’une espèce dans son environnement, quel que soit son stade de vie.
Comment fait-on pour prélever de l’ADN ?
Dans notre cas, l’objectif est de détecter les différentes espèces de poissons présentes sur un secteur donné. Le protocole utilisé est donc spécifique aux rivières : la récupération d’ADN est réalisée par filtration d’eau grâce à une pompe péristaltique (qui permet d’aspirer de l’eau à un débit lent mais régulier). Lors de cette opération, l’eau passe à travers une membrane qui retient l’ADN. La membrane est ensuite analysée en laboratoire afin de récolter les fragments d’ADN et déterminer les espèces présentes sur le secteur étudié. Une filtration dure 30 minutes et permet de filtrer environ 30 litres d’eau, elle se fait proche de la surface afin de mieux prélever l’ADN. Dans un cours d’eau assez courant, il est ainsi possible de capter les espèces présentes sur un tronçon d’environ 3km quel que soit le gabarit du cours d’eau.
L’importance de la zone et de la période de prélèvement
Les points de prélèvement choisis sont situés sur des rivière où des pêches électriques sont réalisées régulièrement : la Trie, la Nièvre, l’Airaines, l'Amboise, le Scardon, la Maye, les Evoissons, le contre fossé de la Somme et la Somme. Les filtrations ont été réalisées sur la partie basse des cours d’eau, en aval des premiers barrages infranchissables pour la remontée des poissons notamment pour capter la présence de poissons migrateurs comme la lamproie marine. Cette espèce, classée en danger d’extinction sur la liste rouge des poissons d’eau douce de France, n’a été
observée qu’une seule fois dans le département en 2014 sur la Trie. Or depuis 2018 et la mise en place de la station de vidéo-comptage de Long, des individus sont observés en montaison entre avril et juin (48 en 2019 et 96 en 2020). Les géniteurs étant présent peu de temps en eau douce, ils ne remontent que pour se reproduire, les prélèvements ont donc été réalisés début juin lors des pics de migration observés à Long.
Et les résultats ?
Dans le cadre du programme « Contribuer à la préservation des écosystèmes aquatiques soutenu par l’Agence de l’eau Artois Picardie, les FEDER gérés par la Région Hauts-de-France, le Conseil Régional, le Conseil départementale de la Somme, la DREAL Hauts-de-France et la FNPF », des premiers résultats ont pu être analysés. Sur la Trie, 20 espèces ont été détectées via l’ADNe lors de la filtration, en majorité le gardon, le chabot, la brème, la truite fario ou de mer (impossible de les différencier via l’ADN, il s’agit de la même espèce) et l’anguille. Sur la Nièvre, trois points de prélèvements ont été réalisés entre la confluence et Saint-Ouen. En moyenne, 8 espèces ont été détectées avec en majorité chabot, gardon, truite fario/de mer, truite arc-en-ciel et vandoise. Trois autres prélèvements ont été réalisés sur l’Airaines entre la confluence avec la Somme et Bettencourt-Rivière avec en moyenne 11 espèces détectées. Les plus présentes sont la truite-arc-en-ciel, l’omble de Fontaine, le chabot, la truite fario/de mer. On retrouve aussi des traces d’ADN de lamproie marine à l’aval de Longpré, ce qui prouve que des géniteurs tentent de remonter la rivière. Enfin les deux derniers prélèvements ont eu lieu sur la Vieille-Somme à Ailly-sur-Somme et à l’aval d’Amiens. En moyenne, 20 espèces ont été détectées sur ces zones dont la lamproie marine à Ailly-sur-Somme. On retrouve en masse des cyprinidés (gardon, brême, ablette, rotengle, chevesne) mais aussi du barbeau, du sandre et du silure, espèces compliquées à capturer avec les méthodes d’inventaires classiques. La truite arc-en-ciel est aussi bien présente tout comme la perche.
Bilan
Ces résultats montrent les avantages de cette nouvelle technique d’échantillonnage. En effet, 100% des espèces capturées d’habitude en pêche électrique ont été détectées via l’ADNe. A l’inverse une ou plusieurs espèces supplémentaires sont systématiquement détectées avec l’ADNe : sandre, silure, barbeau sur la Somme ; bouvière, able de Heckel sur les affluents notamment. L’analyse de l’ADNe permet aussi de détecter des espèces à enjeux comme la lamproie marine qui passent peu de temps en eau douce et sur des zones difficiles d’accès à pied. Cette technique apparait donc comme une bonne alternative aux pêches électriques notamment qui sont coûteuses en temps et en mobilisation de personnel, 6 voire 8 techniciens sur une demi-journée contre 2 personnes pendant 1h de filtration.
A l’inverse, l’analyse de l’ADNe ne permet pas de quantifier le nombre d'individu représentatif d'une espèce sur un secteur contrairement à la pêche électrique. Il n’est pas possible d’estimer une densité. De plus, les résultats observés lors du suivi sont directement impactés par les activités humaines. La présence de stations d’épuration et d’activités de pisciculture vont directement interférer sur la quantité d’ADN détectée. C’est notamment le cas pour la présence importante sur toutes les stations de la truite-arc-ciel ou de l’omble de Fontaine. Les rejets de stations d’épuration peuvent aussi mettre en évidence la présence d’espèce qui ne peuvent pas vivre en eau douce, c’est le cas pour la sardine sur la Somme. Il est aussi impossible de déterminer l’origine de l’ADN de truites fario ou de saumon, est-ce la preuve de la présence d’individus sauvages ou simplement la conséquence de la consommation humaine ? L’analyse de l’ADNe ne peut pas à l’heure actuelle répondre à ce type de question.